Qui est Lady Gaga ? Une arriviste ? Une opportuniste ? Une femme de talents ? Les années qui viennent nous le dirons. Nous ne pouvons juger de sa carrière à l’aube d’un seul album, il faut attendre que son travail murisse. Pourtant le phénomène Lady Gaga mérite que nous nous arrêtions pour mieux le comprendre. Tout d’abord nous pouvons constater un goût prononcé pour les références. Lady Gaga semble toujours à l’écoute des tendances culturelles et artistiques et n’hésite pas à les intégrer dans ses shows. Ceci permet d’offrir une lisibilité plus large à des mouvements quelques fois underground. Avouons-le, c’est un réel plaisir que de s’amuser à décrypter ses clips qui fourmillent de références religieuses, artistiques et musicales. Je voudrai par cet article signaler un détail qui m’a particulièrement intéressé lors de la diffusion du clip « Born this way » et qui semble avoir passé inaperçu pour beaucoup de monde.
Orlan dans sa série du Poireau
Le film porte le thème de Mother Monster qui engendre une colonie de monstres. Est-ce une ode à la lutte contre le racisme ? Où est-ce une métaphore sur la violence inhérente qui se cache dans chaque être humain ? C’est certainement sur ces deux plans qu’est traité le clip et régulièrement la chanteuse va balancer entre les deux thèmes. C’est justement ses références esthétiques qui vont nous permettre de mieux comprendre son propos.
L’artiste joue actuellement beaucoup avec les implants ou tout au moins des ajouts maquillés qui ressemblent à des implants. Ils sont situés sur les pommettes, les joues et les épaules. Il est évident que l’écho envers l’artiste Orlan est remarquable. Facile d’interprétation. Elle reprend ainsi le côté sulfureux de la recherche artistique d’Orlan. Ce travail sur elle-même – dans le sens charnel du terme- lui a valu de très nombreuses critiques du milieu artistique mais aussi lui a offert la possibilité d’acquérir une indépendance totale. En effet personne que ce soit les politiques ou les institutionnels ne peuvent se permettre de « récupérer » sont travail. Cette liberté à un prix. Orlan, lors de sa conférence au théâtre du Rond Point, nous l’a rappelé en ses termes polis : « J’ai énormément souffert de cette haine gratuite motivée par l’incompréhension et l’intolérance ». Nous touchons là un des fondamental de la carrière d’Orlan. A partir de son manifeste d’Art Charnel en 1982, elle acquiert une indépendance artistique qui bien que difficile à envisager au début de carrière, lui permet aujourd’hui d’être l’une des artistes françaises les plus connues et reconnues. Ayant réussi à ternir tête contre l’intelligentsia des conservateurs et autres critiques d’art, elle a su démontrer la valeur artistique de son travail.
Ses séries de portraits déformés selon des esthétiques ethniques de cultures différences portant des labrets et autres tatouages comportent en leur sein un fort message politique. Son œuvre a aussi pour but de démontrer que la beauté est une valeur culturelle et non innée. C’est un principe philosophique important. Son travail a pour but de nous aider à accepter la différence. Que la forme Mangbetu au front déformée de la RDG est aussi belle que celle aux narines élargie de l’ethnie Apatani ou que la femme coiffée d’un brushing surdimensionné du XVIem arrondissement de Paris. Acceptons les autres comme ils sont, avec leur goût de l’esthétique aussi personnel soit-il. C’est un message simple, fort et difficile à appréhender pour beaucoup.
Femme Mangbetu en République Démocratique du Congo
Femme Apatani
Lady Gaga par ses implants avaient donc récupéré une partie des polémiques qu’avait suscité Orlan. Mais la chanteuse va plus loin encore. Puisqu’elle organise dans son clip un hommage d’une des installations les plus fameuses de l’artiste nommée : « Woman with head ». Cette œuvre daté de 1996, présente la tête d’Orlan posée sur une table lisant un texte d’esthétisme de l’art. Elle semble décapitée. C’est un magnifique subterfuge, visuellement efficace qui marque l’esprit.
Dans le clip la chanteuse est coiffée d’un carré –comme Orlan- posant la tête sur un plexiglass. Le corps est visible mais asexué puisque les formes féminines sont contrainte d’être ignorées. Elle est entourée de 4 têtes décapitées, le tout dans une boîte miroirs qui démultiplie son image. La référence est claire tout en étant créative. L’analyse pourrait être la suivante.
Orlan dans l'installation 'woman with head" 1996
Autant dans l’œuvre d’Orlan, le texte avait une importance primordiale. Le rapport entre cette tête décapitée et la lecture d’un texte philosophique par cette même tête était un décalage surréaliste. Nous pouvons comprendre que la parole est ce qui restera de l’Homme après sa mort. Nous pouvons aussi envisager qu’en absence du droit à la parole, l’être humain est comme mort. Il est sans avenir. Evidement avec le passé de la France, nous devons aussi évoquer une autre hypothèse : la puissance des mots et les risques que l’on encourt en assumant ses théories contre la critique et l’obscurantisme et ses actes.
Laddy gaga dans le clip "born this way" 2011
Lady Gaga présente ce « mystère » avec un aspect plus brillant, c’est la première différence. Dans sa représentation on oublie l’aspect force de la parole et du texte pour le remplacer par une autre notion : le respect et l’égalité de chaque être humain. Ou dit différemment : l’ « inimportance » et l’interchangeabilité de chaque vie humaine. La chanteuse développe cette idée par ce corps asexué sur lequel est posé une tête, mais pourquoi pas la tête à droite qui semble être déballée ou celle de gauche au nez un peu plus proéminent. Cette cage de miroir semble être une machine ou une grue viendrait posée une tête sur un corps sans se poser la question de savoir si c’est compatible.
Allons encore plus loin et voyons l’aspect sexuel de cette présentation. Nous savons que Lady Gaga est fortement attachée à la cause LGBT. Est-ce d’un point de vue commerciale, ou simplement par conviction ? Ceci n’est pas le débat. Mais si nous regardons la scène sous cette focale nous comprendrons que quelques fois le corps ne corresponde pas toujours au « moi » sexuel définit par le cerveau. Nous sommes ici sur une des définitions de l’homosexualité et du transgenre. Avec beaucoup d’esthétisme et de brio Lady Gaga défend la cause de la liberté sexuelle en reprenant une œuvre d’Orlan.
Merci à Orlan pour son combat et son engagement artistique qui bouge les frontières de l’art. Et Merci à Lady Gaga de s’inspirer des artistes les plus « in » pour défendre les causes les plus délicates. Copier s’est facile. Mais s’inspirer avec habilité mérite une bonne compréhension et une grande humilité. Nous sommes impatients de découvrir le reste…